Apparemment, la propriété fonde la civilisation. Sortie de la protection collective de la structure clanique ancestrale, l'humain a vite compris que si l'abondance de bien ne faisait pas forcément le bonheur, le dénuement subi était la pire calamité qu'il puisse rencontrer.
Seuls deux mouvements ont voulu s'affranchir de la propriété: la religion, par une démarche individuelle et volontariste, d'une part, et la politique d'une manière autoritaire et collective. Les deux ont montré leurs limites.
Par contre, s'il semble que la propriété soit aussi incontournable qu'il y a quelques milliers d'années, ce que a considérablement changé c'est ce qui peut en faire l'objet et la limitation du pouvoir sur l'objet possédé. En fait, c'est la définition même de l'objet qui a changé.
Si aujourd'hui comme il y a trois mille ans, on peut toujours casser une assiette de colère ou revendre un outil, le champ d'exclusion de ce droit a heureusement évolué.
Dans l'antiquité, on considérait la possession d'êtres humains comme allant de soit. Qu'ils soient devenus objets par dette, conquête militaire ou filiation, l'objet humain, homme, femme, enfant, esclave, pouvait être vendu, exploité, torturé, tué au seul bon plaisir de son propriétaire. Ceci ne choquait personne et même un esprit ouvert comme celui d'Aristote ne le condamnait pas. Et pourtant, philosophes et religieux, siècles après siècles ont instillé dans les têtes que cette perception était malsaine, puis injuste, puis répréhensible, puis inadmissible. Et si aujourd'hui, il reste des poches de résistance, l'ensemble de l'humanité juge l'esclavage intolérable, juge qu'on ne peut ravaler l'homme au rang d'objet. C'est un sens indiscutable et irréversible de l'histoire.
A l'époque mérovingienne puis carolingienne, le roi considérait son royaume comme un bien propre dont il pouvait disposer comme d'un simple champ. A ce titre, chaque succession voyait l'édifice durement bâti par le précédent, séparé en autant d'héritiers. Cette perception de la propriété d'un royaume causa la perte et des mérovingiens et des carolingiens. Les derniers fonctionnaires impériaux de ces derniers, en s'appropriant dans une sorte de privatisation sauvage les entités territoriales qu'ils étaient supposés administrer ont retenu la leçon dans leur mise en place de la féodalité. Ils créèrent le droit d'ainesse. Mais ils continuaient de considérer leur fief comme une simple propriété. Encore une fois, les religieux, les philosophe et les tous nouveaux hommes politiques issus de la bourgeoisie croissante, instillèrent l'idée qu'un endroit où vivait plein de monde en commun ne pouvait se concevoir comme une vulgaire propriété. La notion d'état, mise en parenthèse depuis la fin de l'empire romain s'est imposée à nouveau. Malgré la volonté acharné des magnats actuels d'en finir avec les états pour nous replonger dans une néo-féodalité, on peut être rassuré malgré tout par ce sens de l'histoire.
Même chose pour la famille. Le pater familias romain pouvait tuer, vendre, faire ce qu'il voulait de sa femme et de ses descendants. Il y a encore un siècle, on considérait l'enfant comme un adulte en miniature qu'il convenait de dresser à sa volonté. Il y a encore à peine 60 ans, la femme était un mineur en politique, elle n'avait pas le droit de signature et le viol entre époux n'existait pas.
Idem pour les animaux. Il y a à peine quelques décennies, on pouvait impunément martyriser à loisir son chien, son chat, son cheval, son bétail. Aujourd'hui, c'est la correctionnelle et le déshonneur public.
Dans cinq siècles, dans mille ans, nos descendants ne nous considéreront-ils pas comme des arriérés abrutis d'avoir pu considérer qu'une entreprise, surtout une entreprise s'étendant sur plusieurs pays, conditionnant la vie de plusieurs dizaines de milliers de personnes et appartenant à une infinité d'inconnus puisse se concevoir comme une simple propriété privée?
P. Kerjean
PS: n'ayant pas de compteur, je serai reconnaissant à tout lecteur de laisser une trace de passage par un commentaire, même désobligeant. Même si ce n'est qu'une lettre, un chiffre ou un mot.
merci