que de déceptions ont accompagné l'avènement sarkozien. Voici une liste non exhaustive.
Au commencement, il y eu Guaino. Voilà le poète gaulliste auto-proclamé qui se met au service de ce qu'il combattait hier. De 93 à 95, "aux armes! l'atlantisme capitulard et la fracture sociale sarko-balladurienne ne passeront pas". Depuis 2006 "allez y les mecs, le sarko, c'est la réincarnation du général". Arrivisme? revanchisme? certitude que tant qu'il sera là, il pourra contenir, influencer la bête?
Aucune idée mais de la douleur.
Puis il y eu Gallo. Invraisemblable. C'était à se demander si le gars avait vraiment lu les bouquins qu'il avait signé. Bouquins que j'ai personnellement achetés, lus, relus, et qui m'ont appris et convaincu à me méfier et à combattre toutes les sarkosies de notre histoire. Académie française quelques temps à peine après l'élection... Cela ne peut pas être ça quand même? Il est vrai aussi que le Sullitzer du roman historique, après avoir été gauchiste est devenu mitterrandien. Et aujourd'hui, toute la mitterandie papillonne chez Sarkozy ou aspire à y voleter. Gallo, l'anti-Hugo. Pourquoi?
Aucune idée, mais de la douleur. Beaucoup de douleur. Aussi violente que si Chevènnement avait accepté la place de Besson. Un père noël démystifié à sec, sans préparation. Une déchirure jamais vraiment guérie.
Puis il y eu le premier tour de la présidentielle. Au delà de Sainte Gougourde du Poitou qui devance Bayrou, offrant une voie royale(sans jeu de mot) et à Sarkozy et à la sauvegarde agonisante du PS, il y a les 31% de suffrages exprimés pour le gars de Neuilly. Triomphe plus important que ne l'annonçaient les sondages les plus radieux.
Ces 31%, c'est un coup de massue.
31% de gens qui votent pour un homme ayant, toute une campagne durant, parlé de racailles, de fainéants, de karcher dans un discours au clivage d'une violence jamais vu depuis des décennies. ..
31% des suffrages exprimés qui disent "vas y, rentre leur dans la gueule et si ça bouge, tu peux y aller à la 12.7, t'as carte blanche".
Dans ces 31%, il y a les anciens fans du borgne normalisés et surtout, plus de 70% de la génération de mes parents. Ainsi, ceux là qui ont bénéficié de la plus belle période de croissance, de la société la plus protectrice, la plus égalitaire, la plus juste de l'histoire; ceux qui nous ruinent avec leur retraite et leur sécu; ceux qui devraient être les plus attentifs à pérenniser un modèle de solidarité et de justice, ceux là votent pour qu'on nous bottent le cul à nous, actifs. Cette génération, la première à avoir envoyer ses propres vieux crever dans des hospices pour commodité personnelle, après nous avoir laissé, nous, gosses, des journées entières devant la téloche pour se payer deux bagnoles, après avoir pourri notre planète dans une partouze de consommation, cette génération béton-nylon-pétrole-formica vote pour l'enfer social de ses enfants et petits enfants?
Ce premier tour là m'a anéanti.
Et depuis, ces 31% là sont restés fidèles comme un roc, quelques soient les indignités, les mensonges, les incompétences, les ratages, ils sont restés fidèles. Malgré un bilan calamiteux, ce qui ne les surprend d'ailleurs même pas, ils restent jubilatoirement fidèles. Leur ultime argument pour la galerie(eux n'ont pas besoin d'argument) :"ben quoi? qu'est ce qu'elle aurai fait de mieux l'autre folle?"
Et je suis sidéré que, sans l'excuse du traumatisme d'une révolution, sans occupation, sans totalitarisme, sans bidouillage des urnes, le veau français vote pour l'abaissement de son voisin, de son copain, de son fils. Un peuple tombé si bas en conscience morale, politique et citoyenne est généralement en passe de se faire présenter l'addition.
Un léger sourire triste et amer. Besson, Kouchner, Jouyet, Lamy, DSK puis Lang, Rocard, Allègre, Attali, Benamou et tant d'autres. Eux, c'était prévisible.
Puis il y eu (il y a toujours) deux ans de merdoyage bayrouiste.
Déjà pendant la campagne, quand on suggérait que Bayrou ne s'appelait pas de gaulle et qu'il ne pourrait pas faire l'économie d'une doctrine claire pour fédérer durablement les électeurs, on suscitait des sourires condescendants. Quand on disait que la couleur orange branchouille et de douteuse référence ukrainienne était de très mauvais gout, que le nom branchouille Modem était grotesque, on passait pour des rabat-joies. Quand, après la défaite du premier tour et l'émigration des notables dont les plus critiques envers Sarkozy l'avant veille à peine allaient devenir ses ministres soumis, on déclarait urgent l'édification d'une doctrine arbitrale entre toutes les tendances du mouvement, on vous répondait: "dans six mois, au congrès fondateur". Puis, six mois après, à soeur Anne ne voyant toujours rien venir , "t'inquiètes, dans un an , à la prochaine université d'été...". Deux ans et demi après, rien. Toujours à se demander ce qu'on fait dans le même parti que Peyrelevade et entendre un leader assiégé faire de l'anti-sarkosisme national pour une campagne européenne. Et localement, déjà tous les vices d'un vieux parti: bureaux conclavesques, élections internes borgiesques, combat à mort pour les investitures, ambitions dérisoires dans les crocs. Quel gâchis.
Ô douloureuse déception maintenant.
LE Maître, JF Kahn, avait déjà visiblement été mis au rancard de la direction effective de Marianne depuis le remaniement capitalistique(c'est une impression de lecteur, au loin, pas une affirmation), visiblement cantonné à son bulletin de résistance hebdomadaire, cet indispensable convertisseur de colère en positivisme, ce bulletin de liaison pour les libres-penseur de bonne volonté, j'ai nommé l'édito "notre opinion". Quelques mois après l'élection, dans la plus stalinienne des opacités, JFK sort(de gré? ou de force?) de SON journal. Fini le bulletin hebdomadaire. Et surtout, finie la conscience lumineuse de Marianne. De "unes" racoleuses en reportages médiocres, d'antisarkosisme non pas militant mais commerçant en publication de plus en plus souvent de plumes réacs et faisandées, Marianne troque sa tunique dépoitraillée contre un tailleur de working girl, courbe des ventes en main. A cet égard, la normalisation du site a été un monument de tout ce qu'elle dénonçait de son vivant. Marianne n'est pas pire que l'Express ou le Nouvel Obs, mais Dely n'est pas meilleur que Barbier et Macé-Scarron ne vaut pas Jean Daniel. Marianne, par un mode de mutation orwéllien est devenue banale, bullocrate. Exit Marianne. Douloureux. Très douloureux sevrage d'une passion de dix ans.
Mais le pire, c'est que, exit aussi JFK l'éditorialiste. Sur Marianne ou ailleurs, fini ce qui faisait son génie: la plume. Terminé le bulletin hebdomadaire. Le maître abandonne ce en quoi il excelle pour se plonger dans ce pourquoi il n'est pas fait: la causette médiatique. Là, il ne sert à rien, la forme le désavantage. J'ai mal, quand je parle de lui, de voir un clampin souriant gentiment car n'ayant retenu de lui que ses gesticulations et ses postillons. Un édito de JFK vous secoue la conscience, vous ramène à la bonne volonté, vous interdit la haine, le renoncement, vous souffle l'espoir d'une nouvelle voie, vous montre un angle nouveau et joyeux, même dans la colère, vous transmute toute la merde en combattivité d'une bonne grosse dose d'amour. Voir JFK faire des ronds de jambe télévisuels à BHL, Giesber, Marseille ou Barbier, l'entendre mêlé à des quizz débiles à la radio, c'est pénible.
Annius horribilis, Gaccio, peut-être traumatisé par les barbouseries de Canal, ou, allez savoir, par l'arrivisme sans état d'âmes de collègues de travail, quitte les Guignols. Ceux ci s'enfoncent dans un néant beauf sans conscience ni drôlerie(sauf peut-être pour le fan d'OSS117). C'est à se demander si ce ne sont pas Roucas et Amadou qui écrivent les sketches....
Dans la même veine, le Groland. On a eu Charlie qui virait aux Inrocks et Val devenant patron d'une chaine publique. Et bien on a vu aussi le Hara-Kiri télévisuel politiquement impertinent et jubilatoirement grossier, visiblement mis au pas après une cure de rugby(les anciens abonnés de Canal me comprendront), oubliant l'impertinent et le jubilatoire pour ne conserver que le grossier couille-bite ne faisant probablement plus rire que les fans d'OSS117.
Hadopi. Que les bourges rive-gauche qui s'en disaient, de gauche, quand c'était bien vu, se mettent à hurler quand on veut toucher leurs rentes alors qu'ils n'ont eu de cesse de nous apprendre à nous, beaufs rancis, que la culture n'était pas une marchandise, et qu'en plus ils s'en prennent au parti qui les a toujours fait crouter, m'a fait sourire. Mais qu'on retrouve le forestier(il ne mérite pas de majuscules) dans cette liste de guignols, ça, ça troue le cul. Voilà un mec qui a fait chier toute la France, durant toutes les années 70 avec son gauchisme boyscout, un mec qui s'est permis d'organiser des manifs d'interdiction de concerts de Sardou pour réactitude, le voilà qui insulte la gauche française et les opposants à la loi probablement la plus dangereuse pour la liberté d'expression depuis la fin de la guerre d'Algérie? Au nom de quoi? De son compte en banque? Enfoiré. Tu peux bien aller pleurnicher à la tournée des restos du coeur avec tes autres collègues has been. D'ailleurs, il n'y plus que là que tu peux te produire. Ranci, sec, tu n'as plus rien à dire, t'es plus bon à rien, alors évidemment, tu ne veux pas qu'on touche aux dividendes de tes sincérités prosélytes d'alors.
Il y a aussi quelques espoirs.
Le vent tourne en sarkosie. Timidement mais quand même...
Marianne, paraitrait-il voit une chute de ses ventes. On verra si ses dirigeants sont aussi autistes que ceux qu'ils accusent de cette pathologie. Ou, au contraire, s'ils sont aussi transparents(mort de rire), respectueux de leur lectorat et intellectuellement honnêtes qu'ils l'affirment. Je le souhaite....
Sincèrement.
Pierre Kerjean.